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V - L'heure bleue

  — Les belles amours sont les plus vilaines. Les gouttelettes de sueur dégoulinant de sa main me chatouillait la peau. Il serra un petit peu plus fort sur ma main. —Atroces, amères, éphémères. Il tendit sa main libre et fit un mouvement vague. Je le regardais d’un œil fatigué. —Est-ce que tu sais quelqu’un qui mourut à cause de l’amour ? Je haussai les épaules. —Tu crois que c’est pénible ? J’essayai en vain de détacher ma main de la sienne. Il avait les yeux cloués sur la rive embrumée. Toutes les dix secondes, il répétait les mêmes gestes : il se moucha, il sourit et prit une bouffée d’air sans me jeter le moindre regard. Il tapait parfois sur mon index, histoire de se rappeler que je suis toujours là. —Mourir, je crois que c’est comme cette nage fatale. On se sent rapproché petit à petit de la surface, nos poumons crient pour de l’air. Soudain, on nous tire vers le fond. On essaie de se battre, et puis ce sentiment d’impuissance, cette lamentation sinistre qu’on réprime au fond...

IV - Ex nihilo

 — Michelle, ton ombre danse mieux que toi. Sa tête tourne dans tous les sens avant de heurter violemment le garde-corps du pont. —Arrête, tu me fais peur. Mes doigts frôlent mes veines qui dessinent un arbre le long de mon bras. Je peux palper toutes les Madeline que je pourrais être, incrustée dans mon sang. De toutes ses créatures, j’ai décidée de devenir une pâte à modeler. —Est-ce que tu te sens heureuse ? Michelle lève la tête et sa chevelure rouge accentue ses traits fantomatiques. —Passe-moi la bière. Je pris la mi-pleine bouteille et la lui versa sur le visage. —Sale Madeline, grogna-t-elle en riant. Un orage de sentiments s’annonce. Elle vomira encore un tas d’insultes avant de me supplier en pleurant d’aller chercher sa drogue préférée. J’ai tort. Elle tombe par terre. Je scrute l’arc-en-ciel de ses yeux : le bleu de ses pupilles, le vert de son mascara et le rouge de la fatigue. — Michelle, you’re a monster from Hell . Elle sourit. — Est-ce que je suis belle, Madelin...

III - Dracula

 —J’adore. Les mots, les diable de mots. Ils sont déjà là. —Mais c’est magnifique. J’aime bien ! J’essaie de contenir le sourire mais il se bat mieux qu’un banni. Il se bat encore et encore jusqu’à ce se transformer en un fracas de rire . Joliment, terriblement audacieux, mais pas assez pour essuyer la rougeur qui teinte mes joues. —Merci… C’est… Ses doigts raffinées retracent mes mots. Ceux que j’ai écrit. Mes mots, ses mains, mes pensées, ses ongles et leur brillance rose, mes yeux, ses yeux, leur lueur. Elle lit un joli mot. Mes doigts qui se tordent et deviennent livides. La courbure de ses lèvres que je ne veux pas croire que c’est un sourire. Non, ce n’est pas un sourire. C’est quelque chose de plus beau. De plus vilain. Tout ceci car elle a prononcé le maudit :“J’adore”. Dieu, je vois le même chemin que j’avais rebroussé une dizaine de fois et je hoche la tête. J’ai peur, j’ai peur de s’y aventurer encore une fois. Parce que… L’aller, je tiens sa main. Au retour, je suis seu...

II - Toska

 —Vanille ou chocolat ? Tic, tac. Tic, tac. —Vincent ? Un léger mouvement de la tête. —Je… Je ne sais pas. Elle soupire, ses ongles grattent frénétiquement sa peau bronzée et elle me tire par la main loin du vendeur de glaces. —T’as pris tes trucs ? Elle les appelle trucs. Joli. Je hausse les épaules. On rentre à la maison. Je fonce dans un abîme noirâtre et puis peu après je me retrouve assis avec des invités autour de la table de dîner. Rires grincheux et regards flatteurs. —Oui, oui. Vincent est un grand peintre, je parie qu’il est le meilleur peintre du monde. Je vois un homme à la chevelure poivre et sel me scrutant des yeux. —Catherine m’a fait voir ton dernier tableau. Il vaudrait quelque chose dans notre galerie. L’eau coulait doucement sous le pont voisin de notre maison, nous rappelons que ce moment est éphémère. Ce moment est éphémère . Nous le sommes tous. Nous sommes des créatures qui ont effleurés la surface de la terre pour un moment. Je me rappelle les souvenirs qui...

I - L'Ambre des mots

 Tout le monde est un personnage délicatement peint dans une toile de Monet. Moi, je suis la tâche d’encre qui hante les blanchisseuses, le mélange hideux de pigments sur la palette de l’artiste. Je suis le menteur, l’impie, l’assassin, le sorcier. L’ogre de tous les contes. “Jacques, tu es un âne”. Je ferme mon livre. Je n’aime pas lire cette phrase. Elle me fait mal. Je m’appelle Jacques. Toutefois, je ne suis pas le frère d’un héro et je n’ai pas de travail à Paris. Certains prétendent être les héros de leurs épopées. Je ne suis personne. Pour être précis, il n’y a pas un seul moi. Une foule me peuple. Elle se déchire, hurle et s’entre-tue. Chaque jour, on meurt. On s’enterre vivant. On s’enfonce des couteaux dans des plaies vermeille. Je sens le sang qui n’est pas le mien couler dans mes veines. — L’enfant est endormi. Baisse ta voix. J’ai dix-sept ans. Je ne suis plus enfant. —Tu veux dîner ? — Non. Le ton est sec. Je maudis les larmes qui s’apprêtent à me piquer les yeux. De...

Le chasseur de sentiments

 Quand on est seul et qu’on meurt, le chagrin s’envole comme un funeste papillon vers une personne choisie par le hasard. C’est pourquoi on sent souvent un poids jaillir du néant et nous accabler. Enfant, je me demandais si un jour je serais la cible du fantôme chagrin. Je me demandais beaucoup de choses. Je posais beaucoup de questions. Je voulais savoir de tout. Les étoiles, les chansons, l’océan, le cosmos me chatouillaient l’esprit. Mais surtout les hommes. Ils me fascinaient avec leurs milles et une façades, leurs sourires usés et leurs bavardages incohérents. Puis j’ai commencé à lire des livres. Des livres qui m’aidaient à comprendre les gens. Comment ils tissent, simplement en existant, une toile aussi délicate qu’en s’échangeant des mots ou parfois même des regards. Maintenant, je ne suis plus l’enfant, mais plutôt l’adulte. Certes, je me pose toujours les mêmes questions. -Pierre, un client ! Je sursaute de la chaise et je balbutie des mots intelligibles. Je scanne l’espa...