V - L'heure bleue
— Les belles amours sont les plus vilaines. Les gouttelettes de sueur dégoulinant de sa main me chatouillait la peau. Il serra un petit peu plus fort sur ma main. —Atroces, amères, éphémères. Il tendit sa main libre et fit un mouvement vague. Je le regardais d’un œil fatigué. —Est-ce que tu sais quelqu’un qui mourut à cause de l’amour ? Je haussai les épaules. —Tu crois que c’est pénible ? J’essayai en vain de détacher ma main de la sienne. Il avait les yeux cloués sur la rive embrumée. Toutes les dix secondes, il répétait les mêmes gestes : il se moucha, il sourit et prit une bouffée d’air sans me jeter le moindre regard. Il tapait parfois sur mon index, histoire de se rappeler que je suis toujours là. —Mourir, je crois que c’est comme cette nage fatale. On se sent rapproché petit à petit de la surface, nos poumons crient pour de l’air. Soudain, on nous tire vers le fond. On essaie de se battre, et puis ce sentiment d’impuissance, cette lamentation sinistre qu’on réprime au fond...